Nous sommes aux Antilles fin avril, début mai. Grande époque pour les retours. Vers les Açores d'abord, puis, la côte Atlantique ou la Méditerranée ensuite, selon l'accent des équipages. En général, cette traversée est prise au sérieux, et les navires en partance sont généralement bien préparés. Pourtant, quelquefois, on peut rencontrer quelques équipées assez cocasses, et qui peuvent laisser dubitatif quant à la réussite de l'entreprise.
C'est ainsi, qu'à cette même époque, il y a quelques années, j'échouais mollement, le moteur de mon annexe étant en pleine crise d'identité, sur le flanc d'un ravissant petit bateau. Bien qu'un peu défraîchi, il est vrai, la carène n'en était pas moins agréable. Les formes des années 70 m'ayant toujours émue, j'entrais en conversation avec l'équipage, en vantant les qualités nautiques du dit bateau, modèle avec lequel, d'ailleurs, il y a de nombreuses années, j'avais eu l'occasion de faires pas mal de milles. L'équipage, composé de trois gaillards, s'attelait à décharger un dingy bondé de victuailles. Nous étions à Saint Martin, il était évident qu'une ''transat retour'' était en perspective. L'état général de l'embarcation me paraissait un peu ''douteuse''. Je m'en ouvrais à celui qui me semblait être le capitaine.
-- ''Pas de soucis, à l'époque on fabriquait des bons bateaux, dans les années 70''.
La réplique était sans appel, et, navigant moi même sur une unité de la dite époque, j'étais obligé d'en convenir. Je faisais aussi remarquer, que, sans vouloir blesser le valeureux skipper, il était souvent d'usage, d'insérer, des espèces de petites tiges de métal fendues, plus communément appellées goupilles, dans les petits trous au bout des filetages des haubans. Afin que ceux ci ne puissent s'échapper de leurs ridoirs.
''-- Aucun risque, ça fait 34 ans que ça tient. Ha, vraiment à l'époque, ils savaient y faire... dans les années 70. Puis de toute façon, ils sont totalement bloqués.''
-- Ha, bon... dis-je, en m'écorchant le dos de la main sur un toron de bas hauban (câble), qui, visiblement ne voulait plus participer à la tenue du mât.
Remarquant ma petite blessure, il me dit:
--''Ha, oui, fais attention, y a un toron qui a pété. Mais les autres sont en super état. Et puis l'inox, c'était autre chose, dans les années 70! Pas vrai?''
Tant de confiance dans ces belles "années soixante-dix'' me laissait un peu perplexe.
Puis ayant été informé que le départ était prévu le soir même, je leur souhaitais le '' bon vent'', et les laissais terminer leur déchargement. Déchargement qui d'ailleurs touchait à sa fin, il ne restait plus que les douzes ''cubi'' de rouge appellation controlée ''communauté européenne'', à hisser à bord.
Étonné, je retrouvais le lendemain matin, au bistrot du coin et à l'heure du café, l'equipage au complet.
-- Alors? Pas parti? les apostrophais-je.
-- Eh bien figure toi, que, juste au bout du canal, à même pas une dizaine de milles d'ici, l'enrouleur de génois qui casse. Le cable! Net!
Remarquant mon air peu étonné, il m'assurait que celui-là, avait été changé.... mais dans les années 80!
MANU