14 Octobre 2019
LA BONNE QUESTION (SUITE). HIRAM 2. La nuit était belle. Martin galopait tracté par ses trinquettes jumelles, une de ces belles nuits durant laquelle on sait qu'il n'y aura pas de coups fourrés, et où il suffit de «jeter un œil» de temps en temps pour entretenir sa bonne conscience. «Un minimum d'efforts pour un maximum d'efficacité»; le grand maître Jigorõ Kanõ lui même, maître à penser incontesté du bord, eut été réjoui de nous voir évoluer aussi aisément sur l'océan. Trois heures d'un sommeil profond et serein m'avaient remis «droit dans mes bottes», bottes que d'ailleurs, ma descente vers le sud m'obligeait à enfiler de plus en plus régulièrement. Je sortais dans le cockpit, l'air était frais. Il était à nouveau là, et je subodorais qu'il allait falloir m'habituer à ces étranges visites. Refusant toutes considérations de quelconque défaillance cérébrale de ma part, je décidais d'envisager cette occasionnelle présence comme normale; je ne pouvais pas lutter contre, j'allais donc faire avec; Hiram serait équipier ponctuel, au moins le temps nécessaire pour moi, de trouver un accord avec mes divers signaux d'alarme intérieurs qui, peut-être à juste titre, s'inquiétaient de ma santé mentale. Nous discutâmes donc de choses et d'autres. J'aimais sa façon d'écouter, ses yeux savaient lire au delà de mes mots. Je m'habituais ainsi à le trouver quelquefois assis dans le cockpit, au moment où je m'y attendais le moins. Il était toujours sec, et rapidement je cessais de me demander ce qu'il faisait là, et comment il arrivait sur mon bateau alors que nous étions à plusieurs centaines de kilomètres de toute terre habitée. Lors de nos discussions, aucun sujet n'était contourné et chacune de ses visites me laissait plus riche et éclairait mes réflexions d'une lumière nouvelle sans que jamais il n'affirmât quoi que ce soit d'une façon radicale et péremptoire. De la même façon que je ne le vis jamais arriver, je ne le vis jamais repartir; il disparaissait toujours alors que j'étais occupé à manœuvrer ou régler mon bateau. (A suivre...)
MANU M, le 13/10/2019